Vincent Brévart

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Quand l'aléatoire nous en veut

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Nos idées fausses sur l'aléatoire

Non, l'aléatoire ne nous en veut pas. Il ne décide pas de sournoisement nous défavoriser, pour nous faire perdre et nous être désagréable. Et pourtant, quand il s'agit d'un logiciel de jeu de cartes qui bat les cartes de façon automatique, les affirmations les plus folles pleuvent de toute part. Ce sont surtout les joueurs de belote qui sont les plus virulents. Ils m'ont envoyé des messages incendiaires, certains avec de véritables insultes, pour s'insurger contre cet aléatoire qui, selon eux, les défavorisait d'une manière honteuse et inacceptable. Voici quelles étaient leurs allégations :

  • Les adversaires ont tout le jeu, et nous rien !
  • Neuf fois sur dix je n'ai aucune carte de la couleur retournée !
  • Tous les As sont pour l'autre équipe, c'est une évidence !
  • L'adversaire a toujours de grosses annonces, jamais nous !
  • Neuf fois sur dix les carrés sont pour l'adversaire, jamais pour nous !
  • L'adversaire a toujours une grosse annonce pour me mettre dedans !
  • Dès que mon équipe a de l'avance, l'adversaire nous rattrape !
  • Il y a eu 3 capots dans une même partie, c'est invraisemblable !
  • Les capots sont tous pour Est‑Ouest, jamais pour Nord‑Sud !
On pourrait croire que toutes ces analyses émanaient de personnes d'un très petit niveau intellectuel, ou de mauvais joueurs ayant perdu deux ou trois parties de suite et voulant exprimer leur frustration en se défoulant sur le développeur du programme. Mais non. Certains messages étaient correctement écrits, avec même des remerciements et les formules de politesse d'usage. Et ils étaient étayés d'explications et de preuves très bien documentées. Les situations, les victoires, les annonces, les capots avaient été rigoureusement comptés tout au long de dizaines de parties, et les résultats semblaient indiscutables : l'équipe de l'utilisateur était désavantagée d'une manière évidente !

C'était vers l'année 2005, quand Bel Atout a commencé à acquérir une petite célébrité. Je pensais à l'époque que c'était la rançon de la gloire, et que je devais m'en accommoder. Mais je restais malgré tout consterné par tant d'aberrations. Dans certains messages, les joueurs m'expliquaient même comment je m'y prenais pour les faire perdre, ils n'avaient pas l'ombre d'un doute sur leurs analyses et leurs conclusions. Et moi, pantois, je relisais mon petit programme de battage des cartes, qui faisait une trentaine de lignes de code en langage C (sur plus d'un million pour le logiciel complet), et qui reprenait un principe on ne pouvait plus basique et innocent de tout ce dont on l'accusait :

Battage des cartes

Battage automatique des cartes

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Le danger des fausses rumeurs

J'avais surtout du mal à imaginer comment des joueurs doués de raison pouvaient un seul instant penser que j'avais écrit un programme les défavorisant, et devenant pour le coup désagréable à utiliser. Enfin, quelle est la personne sensée qui va faire une chose pareille ? On peut éventuellement comprendre le principe pour une machine à sous destinée à gagner de l'argent. Mais un programme fait pour s'initier, s'entraîner, s'amuser et prendre du plaisir à jouer, non, je ne comprenais pas.

J'ai commencé à m'inquiéter sérieusement sur le sujet quand le webmaster d'un site de téléchargement m'a contacté à propos de Bel Atout. Sur son site où mon logiciel était présenté, les visiteurs avaient la possibilité de donner un avis. Et deux avis avaient été récemment postés, qui accusaient directement mon programme de tricher et de favoriser l'équipe adverse. Le webmaster m'avertissait aimablement que de tels avis allaient fortement nuire à la réputation de mon programme, et il me conseillait d'y répondre rapidement. J'ai remercié ce responsable web de sa gentillesse (c'était un grand amateur de mes programmes), mais je n'ai pas suivi son conseil. J'ai refusé d'aller lire les avis : je savais très bien ce qu'ils contenaient. Et j'ai surtout refusé d'y répondre, car je ne voulais pas entrer dans une polémique interminable. J'étais certain que ma réponse ne serait pas convaincante.

Quelque temps plus tard, j'ai reçu plusieurs messages alarmants. Leurs auteurs avaient lu sur Internet que Bel Atout n'était pas impartial dans ses distributions de cartes. Et après avoir essayé le programme, ils étaient tombés d'accord avec ces avis négatifs. Ce n'était pas étonnant. Une fois l'idée préconçue implantée dans l'esprit d'un joueur, celle-ci ne pouvait que se renforcer. La fausse rumeur commençait à se diffuser et à avoir son effet dévastateur.

Réfléchissons Même si ces accusations mensongères n'ont été formulées que par une cinquantaine de personnes environ (sur plus d'un million de téléchargements), elles peuvent gâcher le plaisir de nombreux d'utilisateurs. La plupart des internautes ne se fieront pas à des avis d'inconnus dont les motivations et la mentalité sont tout sauf fiables, et ils préféreront se faire leur propre opinion en essayant le programme eux-mêmes, d'autant plus qu'il est gratuit. Mais les idées fausses, les rumeurs et autres superstitions sont toujours dangereuses, surtout quand elles concernent des phénomènes aléatoires complexes. Notre esprit généralisateur, influencé par nos émotions, est prompt à bâtir de fausses connaissances. Il mémorise mal les événements qu'il perçoit, peut même ne plus en percevoir certains, et met en relief ceux qui lui apportent le plus de satisfaction. Un joueur de petit niveau n'expliquera pas ses mauvais résultats par la faiblesse de son jeu. Il préférera accuser l'ordinateur de tricherie, surtout si d'autres joueurs ont lancé des accusations dans ce sens.

Il fallait donc que je me retrousse les manches et me mette au travail. J'étais assez confiant, sans me douter qu'il allait me falloir près de dix ans pour trouver la bonne solution au problème.

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Mes deux premières mesures

  • Baisser le niveau de jeu par défaut

    Il était clair pour moi que dans Bel Atout, mes réglages par défaut n'étaient plus bons. Dans les premières années, j'avais toujours privilégié le bon jeu, et réglé le programme au démarrage avec le plus haut niveau de jeu. Je pensais que les beloteurs voulaient surtout trouver un logiciel jouant à peu près correctement. Visiblement, je m'étais trompé. Les utilisateurs n'arrivaient plus à gagner, et probablement parce qu'ils se croyaient tous d'un très haut niveau, ils en venaient naturellement à accuser l'ordinateur de tricherie. Il fallait changer cela.

    Le changement des réglages par défaut n'a eu aucun effet. Les joueurs de petit niveau ne comprennent pas toutes les subtilités du jeu, et affaiblir le niveau des adversaires ne pouvait pas faire une très grande différence. De toute façon, ce qui les choquait avant tout, c'était la distribution. Que l'adversaire ait une belle main, qu'il fasse un capot, qu'il ait une grosse annonce, ou même juste une tierce. Et je les imaginais continuer à dire "Hé bien voilà, il n'y en a encore que pour eux !". Rien n'avait changé.

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  • Ajouter à mon site des pages sur l'aléatoire

    J'ai alors entrepris d'ajouter à mon site plusieurs pages sur l'aléatoire. J'y parlais de nos idées fausses sur l'aléatoire, des erreurs d'analyse que nous faisons volontiers sur un jeu aussi simple que le Pile ou Face. Comment après avoir tiré dix fois Pile de suite, nous sommes à peu près tous convaincus que le Face a davantage de chances de sortir au onzième tirage (ce qui est archi-faux). Et comment nous nous attendons tous à ce qu'un grand nombre de tirages finisse toujours par aboutir à une quasi égalité du nombre de Pile et de Face. Ce qui est contredit par les théories de l'aléatoire. Et en illustration, je citais cet excellent auteur :

    Dans son ouvrage Les certitudes du hasard, le professeur Marcel Boll mentionne le résultat contre-intuitif suivant :

    Si un million de Parisiens avaient décidé de jouer à pile ou face en 1789 jusqu'à ce qu'ils aient eu un nombre égal de « pile » et de « face », à raison d'un lancer par seconde, 500 000 d'entre eux auraient cessé de jouer dès la deuxième seconde, mais… plusieurs seraient encore en train de jouer aujourd'hui !

    A la lumière de ces exemples, j'essayais de faire comprendre que dans un jeu comme la belote ou le bridge, il ne fallait pas s'attendre à une régularité des distributions, qu'il pouvait y avoir des périodes où une équipe n'avait que du bon jeu, sans que cela remette en cause l'équité de l'aléatoire. Qu'après un grand nombre de parties, c'était tout à fait normal qu'une équipe ait pris de l'avance au nombre total de gains. Que cet écart absolu n'était pas important. Que ce qu'il fallait regarder, c'était les deux pourcentages de gain, qui au fil du temps allaient se rapprocher des 50%, montrant alors que les deux équipes étaient traitées sur un pied d'égalité.

    Mais c'était peine perdue. Les utilisateurs convaincus de ne pas se tromper dans leurs analyses de l'aléatoire, ont dû être peu nombreux à lire des pages écrites par l'auteur lui-même, qu'ils soupçonnaient certainement de mentir pour se défendre. Et les rares qui ont eu le courage de lire l'intégralité de mes écrits ont bientôt confirmé mes doutes. Leurs messages de réponse étaient sans appel : ils n'avaient pas cru un seul mot de tout ce qu'ils avaient lu sur mon site !

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Ajout des statistiques sur les gains

Si les utilisateurs mécontents comptaient mal les parties gagnées, il fallait que le programme les aide en tenant à jour des statistiques sur les gains des deux équipes. C'était la mesure qui promettait d'être la plus efficace, même si j'ai très vite compris que les statistiques de l'utilisateur n'allaient pas suffire. Pour un joueur de bas niveau et trop prudent aux enchères, les statistiques de gain pouvaient montrer un pourcentage de 45% pour Nord‑Sud, contre 55% pour Est‑Ouest. Ma démonstration de l'équité de l'aléatoire allait être faussée par le niveau de l'utilisateur.

J'ai donc mis en place de nouvelles fonctions pour cumuler les scores obtenus par l'ordinateur pendant la comparaison. Ainsi, il devenait possible de savoir si l'ordinateur, en prenant la place de l'utilisateur en Sud, aurait gagné ou perdu la partie, indépendamment du gain de l'utilisateur. Du coup, même si l'utilisateur faisait beaucoup moins que 50% de gain, l'ordinateur à la comparaison devait, lui, se rapprocher des 50% puisque les 4 joueurs machine jouaient avec le même niveau de jeu. Et les accusations de tricherie allaient tomber d'elles-mêmes. J'imaginais le résultat suivant :

Statistiques de gain

Avec de telles statistiques, l'utilisateur était peut-être en droit de se plaindre d'être défavorisé par rapport à Est‑Ouest, puisqu'il ne gagnait que 47,50% des parties. Mais il avait aussi la vision claire que l'ordinateur, lui, faisait mieux et se rapprochait des 50%. La preuve allait donc être apportée que les gains des deux équipes ne pouvaient que s'équilibrer avec le temps, à la condition bien sûr de regarder le score de l'ordinateur.

Mais c'est justement cette condition qui ne pouvait pas être remplie. L'idée était bonne, mais pour cela il fallait que l'utilisateur branche la comparaison. Ce que ces utilisateurs qui se plaignent de l'aléatoire refusent le plus souvent de faire, parce qu'ils ne veulent pas voir leur véritable niveau de jeu. Ils ne veulent surtout pas être comparés, et surtout pas voir leurs propres fautes. Les statistiques de l'ordinateur ne les intéressent pas, et il est probable qu'ils les mettent en doute elles aussi. Non, la solution n'était pas encore là. Et je continuais à recevoir des plaintes d'utilisateurs de plus en plus violents dans leurs propos.

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Ajout des tests automatiques

Dans ma version de débogage de Bel Atout, j'avais déjà des outils pour conduire des tests automatiques sur un grand nombre de parties. Je faisais tourner le programme plusieurs nuits d'affilée, en sauvegardant les statistiques entre chaque nuit. Et j'obtenais des résultats tout à fait conformes aux théories de l'aléatoire décrites dans les livres. Pour ce jeu mettant en opposition deux équipes, les statistiques de gain montraient bien que :

  • L'écart absolu entre les 2 équipes (la différence entre leurs gains respectifs) repassait parfois à 0 (égalité parfaite des gains), même après un temps très long. Mais c'était assez rare. Souvent cet écart semblait stagner, et même continuellement augmenter, tantôt pour une équipe, tantôt pour l'autre.

  • L'écart relatif entre les 2 équipes (l'écart absolu des gains divisé par le nombre total des parties jouées) tendait invariablement vers 0.

  • Les deux pourcentages de gain (les nombres de gains divisés par le nombre total des parties jouées) tendaient vers 50% pour les deux équipes.
Moi, je voyais bien, de par ces résultats que j'obtenais régulièrement, que mon battage des cartes était équitable. Mais les utilisateurs, eux, ne le voyaient pas. Ils n'avaient comme seul recours que de faire confiance à ma parole, et évidemment, pour les plus critiques d'entre eux, ma parole ne valait pas grand-chose. J'entrepris donc de donner à chacun la possibilité de faire ses propres tests automatiques, avec des statistiques sur la plupart des points importants (nombre de parties gagnées, capots, annonces, As, types de mains, etc.). Voici les différents écrans qui allaient être proposés :

Tests automatiques 1

Dans SimiliBridge et Bel Atout, affichage des pourcentages de gain
qui tendent vers 50% pour les deux équipes.

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Tests automatiques 2

Dans SimiliBridge et Bel Atout, le détail des parties gagnées,
avec le nombre de fois où les 2 équipes ont été à égalité.

Tests automatiques 3

Dans Bel Atout, le détail des résultats obtenus pour chaque équipe
(dedans, capots, capots d'affilée, nombre d'As, etc.)

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Tests automatiques 4

Dans Bel Atout, le détail des annonces (Belote et combinaisons).
Près de 2 donnes sur 3 présentent au moins 1 combinaison.

Tests automatiques 5

Dans Bel Atout, les pourcentages pour chaque type de main.
2222 sont les mains avec 2 cartes dans chaque couleur.
Notez les pourcentages proches de la norme.

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Ce nouvel outil pour faire des tests automatiques me paraissait très intéressant. C'était un plus pour le programme et j'en étais tout heureux. J'étais surtout étonné de voir comment les résultats relatifs aux types de mains étaient proches des calculs théoriques qu'on pouvait faire sur le sujet (affichés dans la colonne Norme, la plus à droite dans l'image ci-dessus). Le battage des cartes effectué par une machine semblait donc très performant, probablement plus que le battage à la main. Pour illustrer ma démonstration, j'écrivis une page d'aide détaillant tous les calculs de probabilité sur les types de main, pour que personne ne puisse mettre en doute mes affirmations.

Mais à mesure que le jour de la sortie de la nouvelle version approchait, je commençais à douter de son effet sur les irréductibles de la théorie d'un aléatoire partisan. Allaient-ils vraiment conduire des tests pour contredire ces croyances qu'ils avaient si profondément ancrées en eux ? Pour qu'une expérience soit probante, il fallait faire un test sur au moins 2000 donnes, ce qui pouvait prendre 2 ou 3 heures. Allaient-ils vraiment avoir la patience de laisser tourner le programme tout ce temps, pour chercher à savoir s'ils se trompaient ou non ? Et même s'ils avaient cette honnêteté, ne pouvaient-ils pas remettre en cause la validité des tests eux-mêmes, et prétendre que la distribution était peut-être équitable pendant les tests, mais que quand ils jouaient, eux, elle ne l'était plus. Non, ma preuve par les tests automatiques n'en était pas une. Ce n'était pas encore la solution au problème.

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Comment je trouve LA solution

C'est SimiliBridge, mon programme de bridge, qui m'a aidé à trouver la solution. Pour les bridgeurs débutants qui commençaient à apprendre leurs premières enchères système, j'avais mis en place un mode particulier de distribution. Je distribuais aléatoirement une donne, puis faisais effectuer les enchères par les joueurs machine, et analysais à la fin si ceux-ci avaient utilisé exclusivement des enchères connues de l'utilisateur. Si tel était le cas, je gardais la donne, et sinon je recommençais la distribution. Ainsi, je pouvais présenter des donnes variées et imprévisibles, mais en même temps adaptées au niveau des débutants.

Un beau matin, en me rasant dans ma salle de bain (c'est souvent à ce moment-là que j'ai mes meilleures idées - ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais rien), j'ai tout à coup pris conscience que je pouvais utiliser ce principe du tri sélectif des donnes aléatoires pour... favoriser une équipe. Je n'avais jusque-là jamais imaginé une quelconque technique permettant de donner un avantage à telle ou telle équipe. Je ne voyais pas comment je pouvais distribuer volontairement des bonnes cartes ou des combinaisons, sans que cela ne soit visible et ne débouche sur des mains stéréotypées. Mais là, par le biais des enchères, j'entrevoyais une solution. Si je ne gardais que les donnes où une équipe gagnait les enchères, celle-ci allait certainement être avantagée. J'analysais rapidement les différents points suivants :

  1. L'équipe avantagée gagnait les enchères, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'elle allait gagner la donne. Le jeu de la carte n'était pas concerné par l'avantage, et certains contrats, mêmes bien annoncés, pouvaient chuter sur une bonne défense. Le jeu restait intéressant.

  2. L'équipe avantagée gagnait les enchères, mais c'était sur la décision de l'ordinateur. Peut-être celui-ci avait-il un peu forcé sur son enchère ? Peut-être avait-il surenchéri en défense pour empêcher l'adversaire de faire un gros coup ? Le contrat pouvait donc chuter malgré l'avantage. Et comme l'utilisateur pouvait enchérir différemment, l'issue de la donne restait incertaine.

  3. L'équipe avantagée gagnait les enchères, ce qui éliminait toutes les donnes où l'autre l'équipe avait du gros jeu, remportait facilement les enchères et faisait un joli coup. Cela devait, sur le long terme, générer un net avantage pour l'équipe favorisée.
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Il me restait à vérifier mes suppositions grâce à l'outil de test automatique que je venais tout juste de mettre en place. Et les résultats furent concluants. Je mis un petit curseur pouvant varier de +1 à +10, afin de modérer l'avantage selon les besoins. Et pour la valeur +10, l'équipe Nord‑Sud gagnait jusqu'à 80% des donnes. Pour un avantage à +5, son pourcentage tombait autour de 65%. Pour les petites valeurs comme +1, le pourcentage n'était que de 52%, ce qui était imperceptible en cours de jeu. En faisant varier le curseur de -1 à -10, je donnais naturellement la possibilité d'avantager l'équipe Est‑Ouest de la même façon. Et la valeur 0 assurait une distribution totalement aléatoire.

Avantage Bouton Régler l'avantage Nord-Sud (raccourci Maj+A)

Avantage

Boîte de dialogue pour régler l'avantage Nord‑Sud
accessible par le menu Préférences (ou Maj+A)

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Peu à peu je finissais par m'habituer à ce principe de « tricherie » en faveur d'une des deux équipes. C'était juste une question de présentation. Après tout, en favorisant Nord‑Sud, on était amené à travailler davantage son jeu d'attaque. Et en favorisant Est‑Ouest, c'était sur le jeu de défense qu'on pouvait s'entraîner. En creusant l'idée, je mis en place une liste de choix permettant aussi de travailler sur les hauts contrats ou les donnes de capot à la belote coinchée, et sur les manches, les chelems et même les enchères de contrôle au bridge. LA solution aux accusations de tricherie consistait donc à offrir à l'utilisateur soupçonneux la possibilité de tricher lui-même. Et ce principe, discutable mais imparable, se terminait même par des améliorations pouvant bénéficier à la grande majorité des utilisateurs. J'étais satisfait.

D'autant plus que l'avantage à la distribution laisse intact le défi qui consiste à gagner la comparaison. L'utilisateur joue les mêmes donnes que l'ordinateur à la comparaison, et donc il peut toujours chercher à le dépasser, que les donnes soient favorables ou pas. Bien sûr, un utilisateur plus habile en attaque aura peut-être de meilleurs résultats en réglant l'avantage sur les hauts contrats. Mais la différence ne doit pas être grande. Dans la fenêtre des statistiques, l'écart de pourcentage entre l'utilisateur et l'ordinateur doit rester un bon indicateur de niveau, qu'il y ait avantage ou pas.

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Où je reçois quand même une plainte...

Les plaintes sur l'aléatoire ont naturellement cessé. Notez que je n'ai jamais reçu de messages d'excuses de la part de tous ceux qui ont accusé le programme à tort. Je suppose que ces utilisateurs indélicats restent convaincus d'avoir eu raison, et qu'ils ont trouvé une façon ou une autre de s'accorder avec leur conscience. Peu importe finalement, ils m'ont poussé pendant dix ans à améliorer mes programmes, et ce fut un mal pour un bien.

Dans mes 4 logiciels, j'ai même renforcé la liberté de l'utilisateur en lui donnant la possibilité de redistribuer une donne sans interrompre la partie en cours. Cela se fait par le menu Jouer / Redistribuer la donne en cours, ou le raccourci Ctrl+F8. Jusque-là, les joueurs mécontents de la distribution étaient obligés d'interrompre leur partie. A présent, ils peuvent redistribuer la donne, autant de fois qu'ils le souhaitent, à la condition de le faire avant qu'elle ne soit entièrement jouée. Ainsi, ils peuvent gagner jusqu'à 100% de leurs parties !

Redistribuer la donne en cours

Confirmation demandée pour redistribuer la donne en cours
accessible par le menu Jouer (ou Ctrl+F8)

Le principe ne semble avoir un intérêt que pour une petite minorité d'utilisateurs. Mais ce n'est pas tout à fait juste. On peut rechercher une donne d'un type particulier, tout en voulant conserver le donneur, la marque en début de donne à la belote, les conditions de vulnérabilité au bridge, etc. Interrompre la partie modifiait toujours ces conditions. La redistribution pure et simple est bien plus pratique. Je m'en sers maintenant souvent en phase de test.

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  • Je veux gagner plus souvent, mais sans mettre d'avantage !

    J'ai quand même reçu une plainte d'une personne très sympathique, mais qui refusait clairement de donner un avantage à son équipe. Elle était on ne peut plus mécontente de la distribution. Selon elle, il y avait des annonces plus fortes en Est‑Ouest, des enchères très risquées qu'elle n'aurait jamais faites elle-même, tout cela ne pouvait pas être une coïncidence : les adversaires étaient sans aucun doute avantagés. Elle voulait que cela cesse, mais pour autant elle ne voulait pas utiliser la boîte de dialogue pour régler l'avantage. Elle refusait l'idée d'être avantagée à la distribution, ce qui était tout à son honneur.

    Malheureusement, je n'ai pas trouvé de solution pour cette personne. Mais sa demande était néanmoins digne d'intérêt. Ce qu'elle voulait, tout simplement, c'est ce qu'on pourrait appeler un aléatoire complaisant. En gros, un aléatoire qui favorise l'utilisateur, mais sans le lui dire. Après quelques recherches sur le Web, je me suis rendu compte que le principe avait déjà été bien étudié, et qu'il était probablement utilisé dans certains logiciels de jeu, évidemment d'une manière cachée. C'est un procédé qui peut se justifier, pour certains types de jeux en tout cas, si le but est de rendre le programme agréable aux joueurs débutants. Mais pour un jeu de cartes, je pense que la grande majorité des joueurs de bon niveau souhaitent jouer sur des donnes totalement aléatoires. Dans mes programmes, le nombre de donnes différentes n'est limité que par le nombre des combinaisons possibles des cartes distribuées :

    A la belote

    99 561 092 450 391 000 donnes possibles
    10 518 300 mains différentes (plus de 10 millions)

    Au bridge

    53 644 737 765 488 792 839 237 440 000 donnes possibles
    635 013 559 600 mains différentes (plus de 635 milliards)

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Où je ne vaux pas mieux que les autres

Pour en terminer avec le sujet sensible de l'aléatoire, je dois avouer que je me surprends souvent moi-même à développer de fausses connaissances à partir de faits aléatoires pourtant réels. Par exemple, quand je fais mes courses au supermarché et que je suis pressé, je choisis toujours, mais toujours la mauvaise caisse. Je ne sais pas comment je fais, mais 9 fois sur 10 je choisis la caisse où il va y avoir un problème ou un retard. Là, c'est un client un peu âgé qui veut payer en petites pièces et qui n'y arrive pas. Là, c'est une dame qui veut régler une partie de ses courses en chèque et avec facture, et l'autre partie avec sa cagnotte de fidélité, si bien sûr il y a assez d'argent dessus. Et c'est interminable ! Là, c'est le monsieur qui a oublié de peser ses fruits, il a dit qu'il en avait pour une minute, mais on attend, on attend, mais qu'est-ce qu'il fait ?! Là, tout va bien, c'est à moi de passer, vite, vite, je suis dans les temps, et non mais c'est pas vrai, voilà la responsable qui vient retirer les gros billets de la caisse ! Et elle choisit ma caisse, pas une autre ! Et la caissière qui doit compter, compter, compter. Moi, je me tape la main sur la tête. Mais pourquoi n'ai-je pas choisi la caisse d'à côté, où tous les clients passent à toute vitesse ?! Mais c'est tout le temps comme ça, tout le temps, tout le temps ! A croire que le supermarché et les autres clients le font exprès parce que je suis en retard ! Mais c'est vrai, je vous jure, j'ai fait l'expérience mille fois ! Ils doivent le savoir, je ne sais pas comment ils font ! Ils me voient arriver, ils voient que je suis pressé, et c'est immanquable : ils font tout pour me retarder !

L'homme pressé

L'homme pressé qui perd son jugement

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Bien sûr, à froid, je parviens à me raisonner et à me moquer de mes divagations. Car ces événements aléatoires qui me retardent, ils arrivent tout le temps, même quand je ne suis pas pressé. Seulement alors, je ne les remarque pas, et même pire, je ne les perçois pas. Soit je suis en train de parler avec un client dans la file, ou je plaisante avec une employée, ou je vérifie mes courses. Peut-être que je lis un magazine sur le présentoir, ou que je rêvasse à des choses et d'autres. Parfois, je m'occupe de savoir si le client suivant, qui n'a que peu d'articles, veut passer ou non avant moi. Et, évidemment, je ne vois pas ce qui se passe plus haut dans la file d'attente. Je ne le vois pas parce que cela ne m'intéresse pas, et cela ne m'intéresse pas parce que je ne suis pas pressé, tout simplement ! Et toutes les fois où je suis pressé et où rien ne vient retarder mon passage en caisse, je fais preuve d'une mauvaise foi affligeante. J'accueille ce passage rapide comme une chose normale, une chose qui m'était due après tous les retards qu'ils me font subir habituellement ! Et au lieu d'invalider ma fausse connaissance par cette expérience contradictoire, je la renforce encore en me répétant intérieurement : "Là, bon, d'accord, j'ai eu de la chance. Mais en général, c'est l'inverse qui se passe, je choisis toujours, mais vraiment toujours la mauvaise caisse !".

Donc, je comprends très bien ce qui se passe chez l'utilisateur de Bel Atout qui a une forte envie de gagner. Quand il voit Est ou Ouest annoncer un carré, il ne se trompe pas. Il n'a pas la berlue, il est bien témoin d'un fait réel. Mais à partir de cette information indubitable, il va se construire la fausse connaissance "Presque tous les carrés sont pour Est‑Ouest". Et il va incriminer la seule personne qui pourrait être responsable de cette injustice : l'auteur du logiciel. C'est fascinant, et effrayant à la fois.

Non, l'aléatoire ne nous en veut pas. Mais nos émotions modifient notre façon de le percevoir et de l'analyser. Nos capacités d'apprentissage et de généralisation sont une des forces de notre cerveau. Mais cette force implique aussi des faiblesses, dont nous devons apprendre à nous méfier.

Question suivante :

La belote coinchée et le système Régina